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« Quoi de neuf ? Broca! »

« Quoi de neuf ? Broca ! »

L’écrivain Thomas Morales avait déjà évoqué le cinéma de Philippe de Broca dans Monsieur Nostalgie. Il récidive dans un chapitre de son nouveau livre, Tendre est la province aux éditions des Equateurs. En voici le texte :

« Quoi de neuf ? Broca !

Depuis une dizaine d’années, je m’efforce de rendre à Philippe de Broca la place qu’il n’a pas dans les rétrospectives ; trop fin, trop commercial, trop populaire, trop provincial, trop virevoltant aussi, frénétique et mélancolique, joueur et fuyant, aristocratique et primesautier, à fleurets mouchetés, ce cinéma d’émotion et d’action n’a pas les faveurs d’une critique qui ne comprend que l’entonnoir sur la tête et les manuels d’agit-prop. Il condense tout ce qui horripile les torquemadas de la caméra, le marivaudage zébré d’incertitudes, le boulevard sentimental, la course à l’échalotte, la cascade et les blagues des copains, le juste balancier entre un dialogue qui serait trop écrit et des sauts de cabris. Moi, ce cinéma-là m’émeut au plus haut point.

Lui seul sait filmer une place de village dans son indolence souveraine. J’y puise une force et une échappatoire, il est tout ce que le cinéma d’auteur abhorre : léger, sensuel, polisson, sensible, jamais racoleur, jamais misérabiliste, dansant et feutré, non-victimaire et aboyant. Il est ma France. Jean-Pierre Cassel cabotine dans Les Jeux de l’amour, Le Farceur et L’Amant de cinq jours, Belmondo nous épuise dans L’Homme de Rio ou Cartouche, Geneviève Bujold nous arrache des larmes dans Le Roi de cœur avec son tutu fichu, Montand qui m’est antipathique m’amuse dans Le Diable par la queue, Jacqueline Bisset est à double-face dans Le Magnifique, au pinacle de son érotisme en nuisette de soie ou en pull à grosses mailles, Marthe Keller est cette brindille haletante dans Les Caprices de Marie en maillot de bain deux pièces, Jean Rochefort roule en break Volvo 145 dans Le Cavaleur ce qui est en soi, le signe d’une élégance folle et d’un caractère extatique, je pourrai continuer encore longtemps cette liste à la Prévert, cette fantasia de l’enfance.

« Je ne peux pas me revendiquer de la Nouvelle Vague dans la mesure où je suis un cinéaste populaire, quelqu’un qui veut faire des entrées, qui veut faire rire, qui veut avoir du succès…La Nouvelle Vague voulait essentiellement faire du neuf […] Ce qui est bizarre, c’est que, pour les gens du cinéma, plus on se rapproche du public, plus on doit faire vulgaire » concédait-il, dans un entretien accordé à Alain Garel et Dominique Maillet. Broca est la parfaite antithèse de toutes les théories brumeuses d’un cinéma cultureux et protestataire.

Dans un film de commande, il se révèle douloureusement personnel et dans un film plus personnel, il injecte une dose d’universalisme. Prenons, Tendre Poulet avec Philippe Noiret et Annie Girardot, la rencontre entre un professeur de grec ancien à la Sorbonne et d’une commissaire de police, l’histoire est
amusante, la péripétie policière se regarde avec plaisir, les acteurs sont à l’aise, les Monique Tarbès et Roger Dumas font leur numéro avec cette fantaisie cabaretière qui n’existe plus, ne croyez pas que ce cinéma en apparence inoffensif, se regarde et s’oublie. Il n’est pas jetable. Il dit tout de nous, de nos méandres, de notre incapacité à s’engager, de nos rêves enfouis, de nos absences et de nos fuites imbéciles, sans grands mots à la rescousse, sans les larmes abondantes des atrabilaires, sans les aplats de couleurs glauques, mais dans l’organdi et le crêpe, l’ondoiement, le drapé, un travail de dentellière. Quand je m’arrête square Viviani, observer l’avancement des travaux de la Cathédrale Notre-Dame, je suis emporté par une émotion qui déborde, je ne peux la retenir. Noiret invite Girardot à l’accompagner sur une plage de Normandie, c’est bon paraît-il pour les couples, dans son costume en seersucker, un cornet de glace à la main, il tente un rapprochement. Nous ne sommes pas dans la drague lourdingue, la déconstruction et le procédural. Ce moment fugace où deux personnes se rencontrent avec les sous-entendus et les piétinements sous-jacents, est superbe de maîtrise. C’est rapide, farfelu, boiteux, d’une beauté à crier. »

« Tendre est la province » de Thomas Morales, Editions des Equateurs, 2024. 240 pages, 19 euros.


Un livre en hommage à Françoise Dorléac

Un livre en hommage

à Françoise Dorléac

« Framboise, quelques hypothèses sur Françoise Dorléac » d’Aurélien Ferenczi vient d’être publié par l’Institut Lumière et Actes Sud.

Communique de presse :

« Au début de l’été 1967, Françoise Dorléac se tue au volant de sa voiture sur une route de la Côte d’Azur. Elle avait vingt-cinq ans, n’était pas encore la star qu’elle avait toujours voulu être, mais déjà une actrice accomplie qu’on avait admirée dans « L’Homme de Rio », « La Peau douce » ou « Les Demoiselles de Rochefort ».

Autant que sa sœur, Catherine Deneuve, elle avait tout pour réussir : le talent, la beauté, la jeunesse. Et pourtant, derrière l’apparente joie de vivre pointait une insatisfaction qui la tourmentait, la peur de ne pas l’être assez, douée, belle, jeune… Elle se délivrait de ses doutes, au moins brièvement, dans la danse qui l’enivrait et auprès de prétendants qui la rassuraient. Mais ce n’était jamais assez ou jamais assez longtemps… Il n’y a pas de mystère Françoise Dorléac, juste la trajectoire-météore d’une jeune femme de son temps, peut-être un petit peu en avance, reflet d’une feinte insouciance, aujourd’hui disparue.

Ce livre en forme d’exercice d’admiration cherche à raconter le bref avènement d’une jeune femme : comment la petite fille du 16e, née de parents acteurs, devient une actrice, et aussi une femme, à la vie amoureuse compliquée, en avance sur son époque. Moderne ? En tout cas l’on guette sa trace chez les actrices d’aujourd’hui, surtout celles qui sont intenses et fragiles. »

10×19 cm / 176 pages / 17€


« Cartouche est le plus grand film de l’histoire du cinéma » selon Nicolas Mathieu

« Cartouche est le plus grand film

de l’histoire du cinéma » selon Nicolas Mathieu

A l’occasion de la disparition de Jean-Paul Belmondo en 2021, l’écrivain Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018, a rendu hommage à l’acteur et en a profité pour dire tout le bien qu’il pense de Cartouche

« Je crois que c’est Serge Daney, le critique des Cahiers du cinéma et de Libé, qui évoquait dans un entretien avec Régis Debray ce qu’avait été la jeunesse au cinéma, en France, avant Belmondo et Bardot. Il faut se souvenir des comédiens qui la figuraient alors du côté des hommes : Daniel Gélin, Gérard Philipe, Jean Marais. De beaux mecs, mais encore pris dans quelque chose d’artificiel, une sorte de pâte, des messieurs déjà.

Quand Belmondo arrive dans les années 1950, tout de suite, il brise ce moule. Il n’a même pas besoin d’être vraiment beau. Son nez est cassé, sa bouche trop pleine, et pourtant, c’est un physique qui séduit dans la seconde et colle à son époque. Comme l’après-guerre, il est facile, facétieux, avec ce pétillement dans l’œil, une malice et une apparente simplicité qui feront toujours son charme, ni tout à fait jeune premier, plus du tout gendre idéal. Quoi qu’il en soit, avec cette gueule-là, la France s’offre enfin une incarnation de la jeunesse qui n’est plus l’histoire d’un passage, d’une phase transitoire. Belmondo, comme Montgomery Clift ou James Dean à Hollywood, incarne pour la première fois un état qui vaut pour lui-même, qui n’appelle rien d’autre. Il invente, comme Bardot, une figure de l’éternel printemps, vif, enjoué et tragique, irrécupérable.

Mais évidemment, il serait complètement idiot de résumer Belmondo à ça, dix rôles entre 20 et 35 ans. Godard l’a certes fixé en jeune homme fou, Melville en voyou ou en curé débutant, de Broca en funambule, mais il fut bien autre chose, et pour nous qui avons grandi sous Mitterrand, il fut surtout ce formidable casse-cou, champion du box-office, quadra à pectoraux et gros calibre qui le dimanche soir venait après le générique de la Gaumont nous consoler du retour en classe le lendemain.

Entre 7 et 10 ans ans, j’ai dû voir L’As des as vingt fois. Et mes souvenirs d’enfant sont pleins de ces films que distribuait René Chateau Vidéo, le même qui devait enchanter plus tard nos adolescences avec Bruce Lee et Brigitte Lahaie. Je revois l’ourson dans la belle décapotable, l’oeil de verre de Minos qui roule sur un toit de Paris dans Peur sur la ville. Et cette chose si curieuse, la même musique qui accompagnait à la fois la fin tragique du Professionnel et la course du berger allemand dans la pub Royal Canin. Les petits mecs du Club Dorothée et de la 205 GTI que nous étions ne comprenaient pas tout, mais ils savaient parfaitement qui ils voulaient être. Cet homme-là, d’un bloc, avec ses deux poings et ses revolvers, son sourire et ses reparties. La propagation du magnétoscope dans les ménages français autorisait de revoir ses courses-poursuites à l’infini, ces fameuses cascades qu’il réalisait lui-même, et, dans la cour de l’école, à défaut de pouvoir nous offrir les services de Rémy Julienne, on recourait largement au Mercurochrome.

À cette époque, pour nous, Godard ne signifiait rien. Truffaut encore moins. Même Deray, Verneuil, Lautner et Oury qui fabriquaient ces polars et ces comédies dont nous nous repaissions n’existaient pas. Il y avait simplement  « les films de Belmondo ». Plus qu’un genre, c’était alors un label qui garantissait au spectateur sa dose d’action et de castagne, d’élémentaire virilité. Quant aux personnages féminins, ils ne se taillaient certes pas la part du lion, mais il y avait tout de même Léa Massari, Jacqueline Bisset et Marie-France Pisier. De toute façon, ces questions-là, et beaucoup d’autres, nous ne nous les posions guère. Nous avions ce miroir où nous rêver et un jour, promis, nous serions comme lui, forts en gueule et prompts à en découdre. Nous ignorions alors que le temps aurait prise sur nos idoles comme sur nos parents. Les uns et les autres deviendraient plus lents. Ils auraient des cheveux blancs, des insuccès, et c’est Claude Lelouch qui viendrait un jour nous apporter la preuve de cette triste évidence. Itinéraire d’un enfant gâté fut à l’époque annoncé comme une renaissance. Nous ne nous y sommes pas trompés.

Heureusement, à 17 ans, je découvrais À bout de souffle et pouvais repousser encore cette révélation de la mort au travail. Dans le film de Godard, Belmondo fumait des Boyards et avait des abdominaux en béton. Voilà tout ce qui comptait. Par la suite, il joua encore quelques rôles, plus disparates, que nous n’allions pas voir en salle et négligions de regarder à la télé. Lui n’eut pas vraiment droit à cette autre carrière que connut Gabin. L’emploi de patriarche ne fut pas son second souffle. Pourtant, il continua à faire partie du paysage, patrimonial et sympathique, toujours admiré en dépit de ce yorkshire accroché à son bras de vieux monsieur trop hâlé.

Et puis bien plus tard, je compris que Cartouche est le plus grand film de l’histoire du cinéma. C’est une œuvre au fond mal connue, qui débute comme une pochade puis devient le plus allègre des récits d’aventure, pour s’achever comme nous, trop vite et sur un drame. Claudia Cardinale s’appelle Vénus et meurt malgré tout. Sur la vaste table où son corps est étendu, elle a la pâleur des vierges du Caravage. C’est un drôle de coup de canif dans le pacte noué avec son spectateur que fait de Broca en exposant ainsi ce terrible cadavre. Alors Jean-Paul Belmondo, ou Cartouche, c’est sans importance à ce stade, la soulève dans ses bras et l’emporte, couverte de soie et de bijoux. Elle ira pour finir s’engloutir avec son luxueux carrosse dans les eaux noires d’un lac qui se confond avec la nuit. Tout au bout, il reste encore une cavalcade, une poignée de bandits qui vont à la mort. « Et que ça aille vite » crie Cartouche, car vieillir n’a pas lieu d’être. C’est un film gai, cruel, terriblement français, c’est-à-dire irrévérencieux et gouailleur, avec ses bons mots copieux et ses valets plus malins que leurs maîtres, ses tristes gens d’armes et Jean Rochefort. Un film dont on a perdu la recette et qui se résume d’un mot très beau, plus guère en usage : le panache. Dans ce film que nous reverrons désormais avec une gravité nouvelle, Belmondo n’a pas 30 ans. Il marche en l’air, impondérable, la taille fine et plein d’allant. Il n’a ni la beauté du diable d’Alain Delon ni celle blessée de Maurice Ronet. Il est tel que nous aurions voulu être et là où nous le trouverons désormais. Car la mort vient de le rendre pour toujours à cette invincible jeunesse. »

Cet article a été publié dans Elle du 17 septembre 2021.


« Le Magnifique » par Michel Gondry : entre Resnais et Gaston Lagaffe

« Le Magnifique » par Michel Gondry : entre Resnais et Gaston Lagaffe

Le réalisateur Michel Gondry (Eternal Sunshine of the Spotless Mind, La Science des rêves, L’Écume des jours) avait rédigé une postface dédiée au Magnifique dans le livre de Jérôme Wybon consacré au film. La voici dans son intégralité : 

« Ce qui fait que Le Magnifique est une comédie unique, c’est cette interaction entre un univers dans lequel on a un homme attachant avec un travail auquel on peut s’identifier, il est écrivain, même si ce ne sont pas celles qu’il a envie d’écrire. Et il nous emmène dans les histoires qu’il écrit, avec cette interaction entre ce qui se passe dans la vie matérielle sur l’histoire qui est racontée.

Moi qui ait toujours été créatif, dessinateur, fabriquer des choses avec mes mains, de voir quelque chose comme ça matérialisé à l’écran, c’est quelque chose qui me faisait rêver, me donner envie d’en faire autant d’une certaine manière.

Ce qu’il y avait de formidable avec Jean-Paul Belmondo dans le film, c’est ce côté touchant auquel on peut s’identifier. Et Belmondo qui a ce côté macho, joue à peine dessus ou en le tournant en ridicule, en permanence. Il a énormément apporté au cinéma français, il a une présence mais sans se prendre au sérieux. C’est un mélange qui permet de faire des comédies, des comédies d’aventures qui est un genre assez excitant.

Quand je suis devenu réalisateur, il m’est apparu que ce film était une de mes références plus ou moins conscientes. Il y avait chez de Broca ce mélange d’aventure et de comédie qui était très attrayant, sans jamais être prétentieux et qui ne parle pas d’une certaine couche de la société. C’est assez universel. Ça me plaît beaucoup. Cela vient peut-être de Chaplin, de ce genre de cinéastes universel qui montraient une monde proche de nous, de notre quotidien.

Il y a des choses aussi qu’on pourrait presque comparer à du Resnais. Par exemple, la cabine téléphonique qui se retrouve dans l’eau. Il y a des juxtapositions. Il a pris une sorte de logique qu’il a poussé d’une manière un peu systématique, jusqu’au surréalisme. Et on ne se pose pas la question de ce que cela va rendre. Les éléments se retrouvent un peu dans le désordre, et cela fait penser à Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais, avec ces glissements dans la mémoire, qui ne reconstitue pas un déroulement linéaire, avec le personnage qui revit toujours le même instant avec les choses qui se mélangent petit à petit. Et on se retrouve à un moment avec une cabine téléphonique au milieu de la mer. C’est une coïncidence mais c’est une bonne coïncidence.

Il y avait aussi un élément un peu Gaston Lagaffe qui était quelque chose de très important pour moi. Le gars qui s’assume pas trop, un peu catastrophique, et qui fabrique des choses qui font rêver les autres. On peut faire pas mal de parallèle avec Gaston Lagaffe, la voisine Christine ressemble à Mademoiselle Jeanne dont Gaston est amoureux. Et toute cette invention. On sent que l’auteur a mis son personnage au service de son imagination et ce que cela lui procure. C’est très réjouissant à voir.

J’ai fait un film qui s’appelle La Science des rêves, où il y a une forte influence d’une part du Magnifique et d’autre part, Le Locataire de Roman Polanski. Ce que je trouve en commun dans ces deux films, c’est cet espèce de microcosme, dans un immeuble parisien, qui pourrait résumer la société. C’est exactement ça. On sait qu’on va croiser dans les cages d’escalier, tel ou telle personne… Il y a cette interaction entre les différents étages, les différents appartements. Et il y a l’interaction entre le réel et l’imagination. Donc, je mets ces deux films un peu côte à côte, alors qu’il ne doit pas y avoir énormément de gens qui les associent. C’est pas le même type de cinéma, mais je les aime de manière équivalente. »

« Belmondo Le  Magnifique » de Jérôme Wybon (Maison Cocorico, 2018)


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