Philippe de Broca et la défense des animaux
Philippe de Broca
et la défense des animaux
Lors de la sortie de L’Africain en 1983, Philippe de Broca revient sur le tournage et sur son engagement pour la défense des animaux.
Quelle est pour vous la définition de la comédie ?
Entre mille définitions, la comédie est le ressort qui permet de partir du tragique pour le montrer sous un angle dérisoire. La comédie, c’est la liberté, puisqu’on peut prendre une situation crucifiante pour la tordre jusqu’à en extirper du cocasse. La comédie cerne mieux que la vérité.
Ne vouloir que faire rire, avoir le ton léger… On peut vous qualifier de superficiel ?
On n’a pas tort. Je revendique le droit d’être totalement superficiel. Je ne suis pas ému par le théâtre de Racine où tous ces gens souffrent profond avec des couronnes sur la tête. Je suis beaucoup plus touché par les évaporés petits marquis de Marivaux.
Avec vous, la comédie gravite toujours autour de l’amour.
Je ne pense qu’à ça. Ne suis sensibilisé qu’à ça. Il n’y a que les affaires de cœur qui m’exaltent, d’ailleurs, toute la littérature française n’est axée que sur lui, le cœur. Les moments de bonheur fulgurant qu’on a, dans la vie, sont ceux où on prend dans ses bras la femme qu’on aime. Le reste du temps n’est fait que de moments tranquilles, plats. Pas de quoi en tirer un film. Reste l’amour. J’ai fait près d’une vingtaine de films, une dizaine d’entre eux m’intéressent et mon rêve, c’est d’inventer une comédie sur le sentiment amoureux sans rien d ‘autre autour, sans sauce, sans anecdote qui l’altère. Un sentiment amoureux pas forcément homme-femme, peut-être pour un enfant ou, tiens, pour la nature. Je suis fou de la nature.
Au point de vouloir la protéger en militant pour la WWLF (World Wild Life Foundation)
Je fais partie du conseil d’administration de la WWLF de Paris. Il y a des gens qui, pour mieux vivre, se réfèrent à la psychanalyse, moi, c’est aux animaux. Pas à la manière des écolos barbus en vestes de mouton qui vont se recycler dans le Larzac, mais à la nature en permanence, aux animaux sauvages. Rien que ce détail : il y a toujours des massacres d’éléphants, parce que l’ivoire est de plus en plus rare. Absurdité criminelle de la chose : on tue une bête de cinq tonnes, qui vit 70 ans et met deux ans à se reproduire, le tout pour lui filouter deux grandes dents dont on tirera une dizaine de bracelets. Je ne suis pas croyant, je suis un sceptique des systèmes politiques, y compris de la déclaration des droits de l’homme, aucun parti politique ne me fourguera jamais une carte d’adhésion, mais ce que je trouve très progressiste, c’est que l’homme soit responsable de la Terre et se rende compte qu’il est urgent de cesser de détruire la nature dont il est issu et dont il a besoin pour survivre.
D’où votre film qui illustre votre mystique en montrant la désinvolture de celui qui vient esquinter la nature la plus vierge en lui plantant des cases et des cantines dedans, et qui agace suprêmement ceux qui y vivent en y faisant le moins de dégâts, en y laissant le moins de papiers gras possibles ?
Oui, je raconte ça, mais en y mettant les formes, celles de la comédie, sur une cadence allègre, tonalité Jules Verne, avec des « sauvages », des jungles, des singes, des éléphants et, lovée au centre de tout ça, une histoire d’amour interminable, comme je les aime, celle de deux êtres particuliers qui se sont rencontrés adolescents, n’ont jamais été capables de vivre ensemble ou séparés, qui n’arrivent à se débloquer qu’à travers une aventure forte, bousculée par d’événements. Des êtres complémentaires mais opposés…
Comment avez-vous préparé le tournage ?
À la dure. C’est ce qui a prit le plus de temps. Dans ce genre de film, le répérage est presque plus capital que le tournage. J’ai cavalé pendant un mois et demi, sillonné le Zaïre, trouvé une tribu pigmée qui, il y a quelques années, avait eu un semblant de contact avec ce qu’on appelle la civilisation, en venant vendre des bricoles, scorpions séchés ou arcs divers aux portes d’hôtles qui, aujourd’hui, tombent en poussière. Je les ai pris, ces Pygmées, pour jouer dans mon film, ils ont été enchantés, n’ont, évidemment jamais vu le cinéma d’aussi près, mais, comme les gitants ou les enfants, ils jouent d’instinct puisque, déjà, leur vie, ils la passent à chanter, danser, imiter les animaux
Comment s’est passé le tournage, c’est-à-dire la transplantation de Noiret-Deneuve, des autres acteurs et de l’équipe, de Paris au Kenya ?
D’abord, ils étaient tous bouleversés, mes stars, mes techniciens et même mes cégétistes, de sentir qu’ils se retrouvaient devant l’origine du monde. Et puis l’émotion passée, il a fallu les installer. Dans des camps de toile, des camps, donc, mais pensés et agencés par des anglais, c’est-à-dire avec un sens douillet du confort. Les vastes tentes avaient leurs meubles, l’électricité, l’eau chayde… la première nuit, tout le monde dormait quand un collectif de lions traverse le camp. Trouille générale intense, les gardes armés se préparaient à intervenir mais en fait, les fauves ne nous ont même pas jété un œil, ils venaient gentiment bouffer nos restes.
Comment avez-vous dénichés pour certaines scènes, le troupeau de 500 éléphants ?
Un petit avion patrouillait sans cesse pour repérer, à l’avance, les migrations d’éléphants. En survolant, en permanence, ils arrivaient à déterminer vers quel point le troupeau se dirigeait. Ne nous restait plus qu’à trouver une route qui nous y mènerait mais, pendant certains tournage, il y a des moments miraculeux.
Les quelques mots ou phrases qu’articulent Deneuve et les Pygmées sont-ils authentiques ?
C’est du bambuti conforme.
Quels ont été les pires désagrèments de ce tournage exotique ?
D’abord la chaleur. Puis, après des pluies torrentielles, des nuées de bestioles, qui nous obligeaient à manger la soupe sous des moustiquaires et à faire des feux autour du camp, ce qui ajoutait à la fournaise déjà existente.
Aucun danger, aucune bête féroce n’ont menacé l’équipe ?
Pas vraiment mais undirectement si. Pour une partie du tournage, nous étions dans un hôtel tout prêt de la Galana River. Chaque nuit, des crocodiles claquaient des mâchoires avec un tel enthousiasme qu’ils nous empêchaient de dormir, et nous faisaient peur, le clapotement des maxullaires des crocodiles ayant un son sinistre. Jusqu’à la nuit où Noiret, qui en avait ras les cernes de ne pas dormir, a hurlé aux sauriens sonores : « vous allez fermer vos gueules, oui ?
Et alors ?
Ils l’ont fermé. Ce que c’est que d’avoir de l’autorité.